Participation d'Aghirin'man au symposium "Nucléarisation de l'Afrique" à Johannesburg novembre 2015

Intervention de Ghamar Illatoufegh sur l'impact des mines d'uranium au Niger

 Les principaux axes de cette communication ont été:

  • Le contexte et histoire de l’exploitation de l’uranium au Niger

  • Les méthodes d’exploitations

  • L’épuisement des ressources naturelles en lien avec l’exploitation de l’uranium

  • Les déchets de l’exploitation

  • Les conséquences

  • L’évolution de la situation

 

Histoire et contexte

La région d’Agadez est une des huit régions du Niger (Niamey, Tillabery, Dosso, Tahoua, Maradi, Zinder, Diffa et Agadez). Agadez est en plein cœur du massif de l’AIR aux confins sud du Sahara à égale distance de la méditerranée et du golfe du Benin.

Le 2 février 1969, Diori Hamani, premier président de la République du Niger indépendant depuis 1960, se rend à Arlit pour poser la première pierre des installations de la première mine d’uranium à ciel ouvert du Niger (SOMAIR) exploité (63,40%) par le CEA (commissariat à l’énergie atomique) et COGEMA (compagnie générale des matières nucléaires) créée en 1976 qui deviendra en septembre 2001 AREVA qui est une fusion entre COGEMA et FRAMATOME le constructeur des centrales nucléaires née en 1958. Il revient le 2 février 1971 pour les inaugurer et c’est l’année où la première tonne d’uranium nigérien alimenta les centrales nucléaires de France. Ce jour là le chef de groupement d’Arlit Elhadji Ibrahim avait déjà 30 ans et s’apprêtait à remplacer son père qui décède quelques années plus tard. Elhadji Ibrahim se rappelle qu’il leur a été promis la prospérité avec l’argent de l’uranium et la naissance d’un deuxième « Paris ».

1969-1971, Arlit (5 000 habitants) à 100km au nord-est est un espace pastoral à la limite du désert ou se côtoyaient animaux sauvages (autruches, gazelles, addax etc.), chameaux et autres domestiques dans un décor de pâturage et des taudis de bois de chauffe. Ces années là aucune montagne n’est visible dans un rayon de 50 km même si c’est l’Air des monts Bagzan 2200m et Tamgak 1800m.

Le 24 juillet 1975, naissance de la deuxième mine de COMINAK, souterraine à 12 km de celle de la SOMAIR, toujours sous domination du géant français AREVA (34%). La COMINAK produit actuellement 1500 TU

1974-1975 naissance de la mine de la SONICHAR (toujours dans la région d’Agadez) ou est exploité le charbon minéral qui sert de fabrication d’électricité dans une centrale thermique pour les usines d’exploitation d’uranium d’AREVA

La période 2000 à 2007, sera celle où l’Etat du Niger aura attribué plus de 200 permis de recherche minière notamment celle de l’uranium dont la moitié se trouve dans le département d’Arlit région d’Agadez.

C’est en 2007 qu’une autre mine a ouvert dans la commune d’Ingall à 240 km à l’Ouest d’Agadez et à 160 km des mines d’Arlit. La SOMINA (société des mines d’Azelik) est une société à majorité chinoise. Elle exploite de l’uranium et produit 700 TU par an.

Le 4 mai 2009, pose de la première pierre du complexe industriel d’IMOURAREN, début des opérations pour la plus grande mine à ciel ouvert d’Afrique et la deuxième dans le monde après celle du Canada, là encore sous le géant AREVA (66,65%), elle s’appellera IMOURAREN SA. Elle se situe à 80 km au sud-ouest d’Arlit, dans la commune de Dannat. Les prévisions de production d’Imouraren SA sont de 5000 TU par an.

A l’heure actuelle les sociétés minières filiales d’Areva produisent environs 3500 TU par an. La production d’uranium nigérien depuis presque un demi-siècle est d’environ 135000 TU



Les méthodes d’exploitations et de traitement :

Les mines à ciel ouvert : l’extraction du minerai d’uranium s’effectue dans des mines à ciel ouvert, de profondeur variant entre 40, 80 et 130 mètres. Elle comprend une phase de découverture réalisée par abattage des morts terrain et une phase tranche minière où se fait l’extraction du minerai, c’est le cas de la SOMAIR et de Imouraren SA. Cette méthode se caractérise aussi par la déformation des paysages avec la naissance des montagnes des stériles miniers extraits de la mine. Le traitement du minerai comprend  soit le traitement dynamique en usine pour le minerai riche en teneur d’uranium ou par lixiviation en tas pour les minerais pauvres en teneur d’uranium: la préparation mécanique (concassage et broyage), l’attaque à sulfo-nitrique (acide sulfurique et nitrique), la séparation solide-liquide sur des filtres à bandes, l’extraction de l’uranium par solvants, sa réextraction à l’aide du carbonate de sodium, la précipitation avec de la soude caustique et la production d’uranate de soude (yellow-cake) contenant plus de 70% d’uranium métal.

Les mines souterraines : l’extraction s’effectue dans une mine située à 250 m sous terre. L’accès à la mine se fait par une descenderie d’une pente de 20% sur une distance de 1300 mètres. Des Bandes transporteuses remontent le minerai extrait en surface pour son traitement en usine située juste au dessus de la mine. Ce traitement du minerai comprend plusieurs étapes : les opérations mécaniques de séchage, broyage et criblage ; la dissolution énergétique par les acides sulfurique et nitrique ; la purification et la concentration par les solvants aminés ; la précipitation par neutralisation à la magnésie ; le séchage et le produit fini appelé dans ce cas uranate de magnésie (yellow-cake) contenant plus de 70% d’uranium métal. Cette méthode a l’avantage de ne pas créer une déformation paysagère par des montagne de stériles miniers qui restent sous terre ;

Dans les deux cas (méthodes), le produit est conditionné dans des fûts de 200 litres, puis expédié par conteneur chez les différents convertisseurs (en Europe ou ailleurs) en contrat avec les clients que sont AREVA, SOPAMIN, OURD et ENUSA.

Les deux méthodes d’exploitations (mine souterraine et mine à ciel ouvert), produisent toutes des résidus divers après les traitements en usines ou en lixiviation en tas. Ces résidus sont d’ordre liquides (boues et les effluents faiblement uraniés), les solides (résidus de traitements), les gaz. Ces boues et effluents restants des éléments séparés, appelés résidus de l’extraction de l’uranium, sont déchargés sur des tas ou dans des bassins spéciaux. A part la fraction d’uranium retirée, la majorité des descendants radioactifs de l’uranium demeurent dans cette boue. Il s’agit par exemple de produits à très longue période physique comme le thorium 230 et radium 226 ainsi qu’une fraction de l’uranium restant. Ainsi la boue (résidus) contient 85% de la radioactivité initiale du minerai. Les agents chimiques utilisés dans le processus de lixiviation ainsi que les métaux lourds et autres polluants comme l’arsenic, sont également abandonnés dans les résidus. Les polluants non-radioactifs qui sont libérés pendant le processus d’extraction minière peuvent également avoir des effets graves sur la santé, comme le cuivre, le manganèse, etc.



L’épuisement des ressources naturelles en lien avec l’exploitation de l’uranium :

  • Les ressources en eau

L’exploitation de l’uranium consomme énormément d’eau, pour les filiales d’AREVA à Arlit c’est 7 à 10 millions de M3par an qui sont utilisés gratuitement pour le traitement du minerai. On peut rappeler que cette zone d’Arlit est un désert immense dans lequel on trouve des poches de végétation et oasis. Donc il n y a que des nappes fossiles dont certaines sont presque vides et d’autres radiologiquement contaminées et sachant que ces nappes se rechargent dans des milliards d’années ou elles n’ont aucune chance de se recharger puisqu’elles sont dans un désert où il ne pleut presque plus. Areva exerce depuis un demi-siècle le monopole de l’eau au point où c’est elle qui décide de qui va boire l’eau et qui ne va pas la boire et de quelle qualité.

A plusieurs reprises les populations environnantes et les animaux ont consommé de l’eau radiologiquement contaminée c'est-à-dire au dessus des normes autorisées (se référer aux prélèvements et analyses de Aghirin’man, CRIIRAD et de GREENPEACE).

  • Le charbon minéral

Ce charbon qui est extrait dans une mine à 190 KM d’Arlit sert de fabrication de l’électricité pour essentiellement alimenter les exploitations d’uranium d’Areva à Arlit et l’usine chinoise de la SOMINA. Pendant l’exploitation de ressource naturelle, l'uranium ne profite pas au peuple nigérien et Areva puise dans une autre ressource qui est le charbon.

En somme donc voilà trois ressources exploitées depuis des décennies au détriment du peuple à qui elles appartiennent.



Les déchets de l’exploitation de l’uranium à Arlit :

Les déchets solides : ils sont constitués par :

  1. Les roches issues de l’abattage des terrains situés au dessus des couches minéralisées (découverture). Dans le cas de la mine à ciel ouvert (SOMAIR, Imouraren SA), ces déchets forme d’énormes montagnes que l’on aperçoit à 30km, et qui ont l’inconvénient de modifier sensiblement le paysage, ce qui constitue un impact environnemental négatif important.

  2. Les résidus de traitement : ils sont constitués de ce qui reste du minerai, ils sont déposés sur des verses de 50 ha à proximité des usines qui font aujourd’hui une hauteur de 30 mètres. Les quantités des résidus sont estimées à 40 millions de tonnes dont environ 14 millions pour la COMINAK et 16 millions pour la SOMAIR, auxquelles s’ajoutent 11millions de tonnes des résidus de lixiviation à la SOMAIR. Au total donc environ 50 millions de résidus de traitement contenant 85% de la radioactivité d’origine sont stockés à l’air libre. Il y a plusieurs risques auxquels exposent ces résidus, à savoir la contamination radioactive de la nappe d’eau potable, la propagation permanente de radon dans l’air et les risques de dispersion dans l’environnement à cause des vents ou des pluies. AREVA et ses filiales au Niger affirment chaque année dans tous leurs rapports qu’il n’y a aucun risque sans en donner la preuve irréfutable.

  3. Les déchets technologiques : il s’agit de papier carton, chiffons, plastique, ferrailles, les verres, les tubes, les déchets végétaux, les huiles usagées, le pyralène, les batteries, bois. Les sociétés minières annoncent un total de 400 tonnes, alors que la réalité est tout autre car rien que les ferrailles contaminées, nous avons découvert pour le mois d’aout 2012 environ 1600 tonnes de ferrailles contaminées (1000 t venant de COMINAK et 600 t de la SOMAIR) mises sur le marché publique d’Arlit.

  4. Les rejets liquides : Ce sont des effluents des usines de traitement du minerai et les eaux usées provenant des activités de maintenance. Ces liquides sont faiblement uraniés et contiennent d’autres métaux. Ils sont collectés puis évaporés dans des grands bassins étanches selon les exploitants miniers. Ces bassins sont bordés par des digues hautes de 4 à 7 m construites avec des stériles miniers avec une âme fond centrale en argile. L’étanchéité extérieure est assurée par des bâches soudées en polyéthylène. Ces bassins représentent des grands risques de pénétration des liquides dans les sols et de contamination radiologique des nappes fossiles dont j’ai parlé tout à l’heure. Ces bassins présentent des risques d’effondrement et d’écoulement des liquides radioactifs dans l’environnement et même d'inonder la ville d’Arlit située à 6km , comme ce fut le cas en 2010.

  5. Les rejets atmosphériques : Ils sont constitués principalement du radon (gaz radioactif), des poussières, des gaz d’échappement des engins et des vapeurs chimiques (oxyde de carbone, oxyde de nitrate, oxyde de soufre et d’autres composés oxydes volatiles). Ces rejets gazeux ont pour origine : Les gaz radioactifs (radon) viennent du minerai extrait de la mine et des résidus de traitement qui contiennent 85% de la radioactivité, les gaz nitreux (oxyde de nitrate) sont produits au niveau de l’attaque sulfo-nitrique du minerai d’uranium à l’usine. Les gaz sulfureux (oxyde de soufre) sont produits à l’atelier contact de fabrication de l’acide sulfurique.

  6. Les produits chimiques utilisés dans le traitement du minerai d’uranium : Ils se composent de : carbonate de soude, le soufre, la soude caustique, la magnésie, le nitrate, pyralène. Ces produits qui sont importés sont de fois stockés dans des habitations publiques dans la ville d’Arlit ou d’autre ville du Niger (Tahoua et Zinder), ils sont aussi déversés dans les rues des villes ou sur les routes et aux abords des installations industrielles. Des animaux en quête de pâturage autour des usines sont les grandes victimes de cet impact environnemental négatif

  7. La construction des habitations et les routes avec des sables et remblais radioactifs :Cela a été découvert par une équipe de Aghirin’man et CRIIRAD depuis 2005 et confirmé par GREENPEACE en 2009 et reconnu par AREVA finalement. Suite de quoi des habitations ont été démolies et reconstruites par Areva, des rues ont été aussi décontaminées par Areva

 

Les conséquences de cette exploitation depuis un demi-siècle 

L’exploitation de l’uranium au Niger depuis un demi-siècle par AREVA, a des graves conséquences pour l’environnement et la santé humaine.

  1. Les conséquences pour l’environnement :

  • Épuisement des nappes fossiles

  • Disparition du couvert végétal existant

  • Déformation totale du paysage avec la formation de montagnes de roches extraites

  • Disparition de la faune

  • Dispersion des ferrailles et matériaux contaminés radiologiquement dans la ville d’Arlit et le reste du pays.


  1. Conséquences sur la santé humaine :

  • Apparition des maladies après 20 ans d’exploitation (Travailleurs et population)

  • Malformations congénitales et problèmes gynécologiques

  • Disparition ou décès suspects de plusieurs travailleurs notamment ceux qui ont travaillé dans des endroits à risque de rayonnement ionisant.

c) Autres conséquences :

- Création de ville cosmopolite

- Accroissement de la population autour des sites miniers (Arlit est passée de 1000 habitants en 1968 à 140 000 habitants en 2014)

- Résurgence des conflits armés (rebellions répétées)

- terrorisme et insécurité résiduels



Evolution de la situation :

Dans les premières années d’exploitation (1969 à 1999) l’exploitation de l’uranium au Niger s’est faite par AREVA d’une manière très sauvage, les travailleurs n’étaient pas informés des risques de rayonnements ionisants, aucune sensibilisation pour les populations environnantes. Le début de mobilisation des organisations de protection de l’environnement notamment la publication de rapports après les visites au Niger de la CRIIRAD, SHERPA et Greenpeace en 2003, 2005 et 2009 sur invitation de l’ONG nigérienne Aghirin’man du ROTAB Depuis les mesures suivantes sont prises :

  • Mise en place des mesures timides de sensibilisations

  • Mise en place des mesures de contrôle de la radioactivité

  • Démarrage d’un plan compteur radiologique de la ville d’Arlit

  • Mise en place d’un observatoire de santé de la région d’Agadez

  • Mise en place d’un fond de développement durable pour les communes impactées par l’exploitation minière

  • Suspension et fermeture des travaux d’exploitation de la mine d’Imouraren en2014

  • Suspension de l’exploitation de la mine de SOMINA en 2015

  • Élaboration d’un nouveau code minier par le gouvernement

  • Mise en place de la redevance minière par le gouvernement en faveur des populations riveraines



  • Le renouvellement des conventions entre le gouvernement du Niger et le Groupe AREVA :

Durant toute l’année 2014, des négociations ont eu lieu entre les deux partenaires que sont le gouvernement du Niger et le groupe AREVA représentant l’état français. Le résultat de ces, négociations fut la signature de la convention minière du 16 juillet 2015. Malheureusement cette convention reste tributaire de la convention du 17 janvier 1969 qui s’étale jusqu’à 2043. Cette convention de 1969, ne prend pas en compte les évolutions juridiques et fiscales de la constitution du Niger et de la CDEAO et UEMOA. Cette convention dit même qu’en cas de litige entre les deux parties, les dispositions de la convention de 1969 s’appliquent. La souveraineté de l’Etat est très écorchée dans cette convention du 16 juillet 2015. L’ETAT du Niger s’est retrouve en position de faiblesse à cause de : conséquences de la crise libyenne et de la chute de Kadhafi, de la crise au Mali et de la crise du Nigeria liée au actions de la secte terroriste de Boko haram. D’où la signature par l’état d’une convention d’exploitation avec AREVA très en dessous des espoirs du peuple nigérien



- Le réaménagement des sites :

Le réaménagement des sites implique qu’il faut remblayer les innombrables fosses qui ont été creusées depuis 1969 pour extraire le minerai, l’élimination des millions de tonnes de résidus radioactifs (environ100 millions de tonnes à termes), la restauration de l’environnement (faune, flore etc..)

Aucune disposition concrète n’est prise pour assurer un réaménagement des sites exploités. Selon certaines sources les sociétés minières filiales d’Areva mettent de coté un pourcentage d’uranium (100 TU/an) depuis 2014 pour le réaménagement des sites

A l’heure ou se pointe la fermeture des certaines mines d’uranium au Niger, il n’existe réellement aucun fond connu par AREVA , par l’Etat du Niger ou par nous autres organisations de la société civile.

En conclusion nous estimons suite à ce constat que l’exploitation de l’uranium par le groupe AREVA au Niger est une catastrophe majeure

Conséquences environnementales

Les activités d'extraction de l'uranium ont de multiples conséquences négatives sur l'environnement :

 

1 / Epuisement des nappes fossiles et contamination des eaux souterraines sur le plan radiologique et chimique

2 / Contamination de l'air par des poussières radioactives et un gaz radioactif le radon

3 / Production de dizaines de millions de tonnes de résidus radioactifs entreposés à l'air libre

4 / Dispersion de remblais radioactifs réutilisés pour l'élaboration des pistes et parfois dans l'habitat

5 / Dispersion de divers matériaux radioactifs (ferrailles, textiles) réutilisés par la population

6/  Recours à des énergies fossiles : l'énergie électrique utilisée par les industries minières de la région provient principalement de la centrale thermique à charbon exploitée par la SONICHAR à Tchirozerine, à 75 kilomètres au nord-ouest d'Agadez.

 

Pour en savoir plus, consulter le site de la CRIIRAD qui effectue, depuis 2003, en collaboration avec AGHIRIN'MAN, des études sur la pollution radiologique à Arlit et Akokan.